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Tête à tête avec l’INERIS

Publié le 22/06/2023
Tel un funeste jeu de dominos, les impacts du changement climatique déroulent parfois une cascade d’impacts secondaires, jusqu’à l’accident industriel. Découvrons comment l’INERIS, membre du SCO France, œuvre à comprendre et prévenir cette alchimie de risques avec Laurence Rouil, Directrice de la stratégie, de la politique scientifique et de la communication de l’INERIS.

Quelle est la mission de l’INERIS, Institut national de l'environnement industriel et des risques ?

Laurence Rouil : Fort de 550 collaborateurs, l’INERIS est un EPIC, Établissement Public à caractère Industriel et Commercial, avec la particularité d’être entièrement sous tutelle du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et plus précisément de la Direction Générale de la prévention des risques. Cela résume le cœur de notre mission, à savoir la compréhension, l’identification et la maîtrise des risques chimiques. Ces risques sont essentiellement à caractère industriel mais nous élargissons de plus en plus notre scope à d’autres sources de risques chimiques comme l’agriculture, le trafic, la pollution environnementale de l’eau, du sol et de l’air. Le risque nucléaire et radiologique est pour sa part traité par un organisme partenaire, l’IRSN.

Créé en 1990, l’INERIS résulte de la fusion de l’ancien centre de recherche du charbonnage de France et d’un centre de chimie appliquée, un passif qui nous octroie une compétence historique sur l’exploitation minière et post minière. Incontournable auprès du ministère et des pouvoirs publics pour tout ce qui concerne les accidents industriels (incendie, dispersion, explosion), l’INERIS assure une cellule d’appui aux situations d’urgence, opérationnelle H24 sept jours sur sept.

INEriS L. Rouil

Laurence Rouil, Directrice de la stratégie, de la politique scientifique et de la communication de l’INERIS. © INERIS

Comment les effets du changement climatique affectent-ils vos champs d’expertise au regard des « NaTech », les risques naturels et technologiques ?

L.R. : Bien que le changement climatique soit historiquement un facteur externe à notre champ d’expertise, nous nous intéressons de plus en plus aux effets des changements globaux sur les risques industriels, selon deux grandes composantes : les pollutions et l’aggravation ainsi que la fréquence plus élevée des risques industriels.

En termes de pollution, on s’intéresse au comportement des substances chimiques dans l’environnement et la façon dont ce comportement peut être affecté par les changements climatiques. Prenons l’exemple de la pollution atmosphérique : certains polluants comme l’ozone étant produits à haute température avec des conditions d’ensoleillement importantes, l’effet du changement climatique est immédiat, on parle même de pénalité climatique (il y a plus d’ozone à cause du changement climatique).

La seconde composante est directement liée aux risques, les fameux NaTech, que l’INERIS traite depuis toujours. Risque « naturel et technologique », un NaTech désigne le couplage d’un évènement extraordinaire naturel avec un indicent ou accident technologique déclenché par cet évènement naturel, comme le tsunami qui a endommagé la centrale nucléaire de Fukushima au Japon en 2011. Le climat entre désormais en jeu car les évènements naturels qui font le NaTech deviennent plus nombreux, avec des formes variées, qui vont intensifier le côté potentiellement grave et dramatique de la situation et augmenter la fréquence des incidents ou accidents. En France, nous savons notamment qu’il va y avoir de plus en plus de feux de forêt ; ce que nous avons vécu dans le Sud l’été dernier risque, malheureusement, de devenir une norme. L’INERIS doit donc intégrer le feu de forêt comme un élément plus prégnant par rapport aux risques industriels et aux impacts sanitaires et environnementaux. Au-delà de cet exemple, nous avons commencé à mener des revues de nos propres expériences mais aussi bibliographiques afin de mieux qualifier les impacts du changement climatique sur cette cascade d’évènements naturels et technologiques.

🎥 Visionnez cette vidéo de l’INERIS pour en savoir plus sur les NaTech

Dans ce cadre, quels phénomènes sont les plus impactants ?

L.R. : Il s’agit essentiellement des feux de forêts, des inondations et des séismes. Nous portons également attention aux phénomènes côtiers, d’une part en raison des zones urbaines qui se développent sur le littoral avec de potentielles activités industrielles, et d’autre part au regard des activités portuaires. Ces dernières accueillent notamment des activités sensibles du point de vue énergétique, comme le stockage d’hydrogène.

Méthodologiquement parlant, nous raisonnons à l’échelle d’un site industriel mais nos études s’étendent de plus en plus à l’échelon du territoire car les sites industriels doivent s’inscrire dans une politique d’urbanisation nationale, ce qui pose d’autres problèmes que nous devons intégrer dans nos expertises.

Comment estimez-vous ces NaTech et en quoi les données satellites peuvent-elles vous aider ?

L.R. : Nous travaillons beaucoup sur l’identification des scenarios, des risques et des effets cascade car, généralement, c’est un phénomène initiateur naturel qui va impacter - directement ou non - une installation, qui va réagir d’une certaine façon. Il est à noter que nous intégrons également le facteur humain. Ce faisant, nous essayons de déterminer les situations et signaux qui pourraient conduire à une situation dramatique afin de définir des plans de prévention. Dans ce cadre, l’observation par satellite va nous aider à deux niveaux.

En situation de crise, elle nous permet de suivre un évènement et/ou d’identifier les fragilités d’un site afin de mieux qualifier le problème. Sur le volet prévention, l’imagerie satellitaire peut nous être d’un grand secours pour détecter des évolutions de l’occupation du sol autour de sites industriels (ce qui nécessite une résolution spatiale très fine) ou des évènements climatiques qui pourraient avoir des conséquences sur ces sites.

« Le SCO, c’est la communauté de l’observation de la Terre qui travaille avec d’autres communautés pour trouver des solutions. »

L’INERIS est membre du SCO France depuis sa création en novembre 2019. Trois ans plus tard, quelle est votre vision du SCO France et qu’en attendez-vous ?

L.R. : Les problèmes sont en marche, nous n’avons plus le temps de réfléchir pendant des années. Or, le SCO France permet de stimuler des travaux avec une composante opérationnelle forte pour fournir des résultats dans des temps relativement courts, compatibles avec l’urgence des besoins.

Cependant, l’observation de la Terre (OT) seule n’est pas suffisante. Pour les sujets qui occupent mon institut, typiquement la qualité de l’air, les réseaux in situ ont clairement une longueur d’avance. Pourtant, nous voyons que l’OT peut apporter une remarquable complémentarité, et c’est cette valeur ajoutée du couplage des données que nous recherchons. J’apprécie donc particulièrement la démarche SCO qui croise autant les expertises que les données. Pour moi, le SCO c’est la communauté de l’OT qui travaille avec d’autres communautés pour trouver des solutions.

Vous êtes très impliquée dans le comité le labélisation qui, chaque année, étudie et sélectionne les projets candidats au label SCO. Pourquoi, quelle est votre contribution ?

L.R. : Dans ce comité SCO, j’étudie beaucoup de projets de pollution atmosphérique car, en plus des travaux de l’INERIS à cet égard, j’y ai personnellement accordé la majeure partie de ma carrière. Comme je le disais précédemment, c’est un domaine très mature en termes de réseaux in-situ et de modèles, pour lequel je veux encourager le couplage de données. Je suis parfois critique et un peu dure, mais c’est pour la bonne cause ! De plus, en réunissant une communauté multi disciplinaire, ce comité crée une certaine émulation et des discussions qui contribuent à faire progresser nos sujets, c’est passionnant !

Plus concrètement, en quoi les projets SCO peuvent-ils contribuer à l’expertise de l’INERIS et orienter les politiques publiques ?

L.R. : Le climat reste une composante à long terme dans l’esprit et, de fait, nous travaillons avec le ministère en appui des règlementations relatives aux risques et pollutions industriels pour les 5 années à venir, pas 50. Pour autant, nous voyons une accélération des changements climatiques et nous essayons d’anticiper. Le climat n’étant pas au cœur de notre activité, des projets capables de faciliter l’appropriation d’un certain nombre de données relatives aux impacts du changement climatique vont étayer notre expertise et, par conséquent, la définition de politiques publiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous suivons avec attention le développement de certains projets SCO qui peuvent fournir des services sur étagère, avec des données d’entrée « digérées », qui vont nous renseigner, par exemple sur les fragilités des installations industrielles, et nous permettre d’intégrer des scénarios plus en lien avec le changement climatique.

Quel futur voyez-vous pour le SCO dans ses dimensions nationale et internationale ?

L.R. : Le SCO France a posé de très belles bases, mais les enjeux vont bien au-delà de notre territoire. Aussi je pense qu’il est crucial de passer à une dimension supérieure en termes d’emprise géographique. Je parlerai donc plutôt d’une évolution indispensable pour le futur, avec une communauté et des services qui se structurent à l’échelle internationale, a minima européenne, notamment avec Copernicus.

 

 

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L’INERIS, placé sous la tutelle du ministère chargé de l'environnement, a pour mission de contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, et sur l’environnement. Il accompagne aussi les entreprises afin de les aider à prendre les décisions les plus appropriées à une amélioration de la sécurité environnementale.