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ECLAT : Evolution Climatique dans la région du LAc Tchad

Publié le 06/08/2021
Il est des lieux sur Terre où pressions anthropiques et climatiques s’entremêlent sur fonds de conflits humains. Face à une situation aussi complexe, le projet ECLAT expérimente une méthodologie puissante sur la région du Lac Tchad. Après un an de rencontres, d’échanges et de maturation, le projet s’est affiné et a entamé les premiers travaux techniques au printemps 2021.

Entre changement climatique et conflits humains, ECLAT n’est pas un projet comme les autres. Quelle est sa genèse ?

Christophe Sannier, Responsable de la cellule Recherche et Développement International chez CLS :Tout est parti d’un projet de l’ESA, EO4SD FCS (Fragilité, Conflits et Sécurité), consacré aux états fragiles connaissant des situations de violences. Dans ce cadre, mes collègues et moi sommes entrés en contact avec la Banque mondiale et, à travers elle, un programme autour du bassin du lac Tchad.

L’évolution plus ou moins naturelle de l’étendue de ce lac porte une pression importante sur les ressources en eau et l’environnement dans une région parmi les plus pauvres du monde. La dégradation des terres, couplée aux situations de conflit et aux impacts du changement climatique, créent une situation très complexe et difficile à appréhender. D’autant plus que ces zones, malgré leur apparence désertique, possèdent une croissance démographique des plus fortes au monde, avec de facto des risques en termes de sécurité alimentaire.

Nous avons ensuite rencontré des gens du PNUD, puis du programme GMES Africa. Enthousiastes, ces derniers se sont montrés intéressés par le projet moyennant l’étendre sur la région afin d’avoir une implication plus large des parties prenantes. Nous avons alors échangé avec l’Union Africaine, constatant « l’alignement » d’ECLAT avec un projet sur les zones humides porté par le Centre de Suivi Ecologique (CSE) de Dakar. Mis en relation avec le CSE, nous avons redéfini les contours d’ECLAT pour répondre à leurs besoins, en accord avec les objectifs de développement durable de l’ONU.

De fait, quelles sont les nouvelles orientations du projet ECLAT ?

C.S. : En gardant le même cap, ECLAT focalise sur une meilleure compréhension des interactions entre pressions anthropiques et changement climatique et sur la pérennité des ressources disponibles. À la zone d’expérimentation initiale, à l’ouest du lac Tchad, s’ajoutent une zone le long du fleuve Niger et une zone côtière au Sénégal où le CSE travaille avec l’Union Africaine. ECLAT va donc fournir de manière automatisée 1) des indicateurs d’occupation du sol, dont seront extraits des indicateurs socio-économiques en commençant par identifier les lieux d’habitation, 2) un suivi de la ressource en eau du lac Tchad et 3) un suivi des zones humides.

Suivi occupation des sols

Suivi des zones habitées et de l’occupation des sols autour du lac Tchad. © ECoLaSS/Background : OpenStreetMap contributors

En quoi consiste l’objectif technique ?

Santiago Pena Luque, référent projet au CNES : ECLAT étant destiné à fournir des outils automatisés d’aide à la décision à partir d’imagerie spatiale, l’objectif premier consiste à fournir un cadre méthodologique transposable qui permette de savoir où calculer des indicateurs de manière fiable et pérenne. Nous nous orientons plus sur les milieux naturels qu’urbains et sur les interactions avec les camps de réfugiés, qui peuvent avoir un impact significatif sur l’environnement. Nous nous attachons également à fournir au CSE des informations sur les zones humides, un milieu dont la dynamique est complexe mais que de longues séries temporelles satellitaires permettent d’étudier en profondeur.

En quoi consiste cette méthodologie et pourquoi est-elle puissante ?

S.PL. (CNES) : Tout part d’une importante masse de données de référence en amont. CLS apporte dans ce cadre une remarquable expertise sur la validation de ces cartes de référence que permettront la génération d’indicateurs de bonne qualité. La chaine de traitement Iota 2 (développée par le CNES) peut ensuite absorber toutes les séries temporelles de données satellites pour enrichir les données existantes, notamment sur les périodes où il y en a peu. Elle peut ensuite calculer des indicateurs d’occupation des sols, que l’on va confronter à d’autres sources, comme le stress hydrique, les réfugiés…

C.S. (CLS) : Nous avons en effet réalisé un inventaire des données disponibles - données satellite très haute résolution, majoritairement issues du programme Copernicus, photos aériennes… - et dont l’utilisation peut être maximisée. Nos experts thématiques ont ainsi évalué plusieurs classes de données et déterminé celles décrivant le milieu avec la meilleure fiabilité de détails. Dès lors, notre approche consiste à découpler les trois types de changements : abrupts, cycliques et à long terme, ces derniers pouvant être attribués au changement climatique. Nous pourrons ainsi voir dans un premier temps la nature des pressions anthropiques, puis constater les changements du sol (humidité, évolution vers des terres agricoles etc.) et enfin délivrer des indicateurs d’évolution à plus ou moins long terme des milieux naturels (augmentation ou réduction de la production primaire nette, des surfaces en eau…).

Quel est le lien avec les conflits ?

C.S. : Prenons l’étude préalable menée sur un camp de réfugiés au nord du Cameroun. Les séries temporelles sur plusieurs années révèlent une diminution significative des ressources environnantes, et tout particulièrement de l’indice de végétation. Corrélé avec le camp, il s’avère que cette chute incombe au prélèvement de bois de cuisson par les réfugiés. Or, si cette pression sur les ressources s’intensifie jusqu’à rendre le bois indisponible, elle peut elle-même devenir source de conflits, avec une résonnance à l’échelle géopolitique. ECLAT peut donc, pour ce seul exemple, mener à des solutions concrètes – comme mettre en place des mesures d’accompagnement pour que les personnes réfugiées disposent d’autres moyens de cuisson – et éviter des conflits supplémentaires. L’outil peut aller jusqu’à suivre l’impact des investissements réalisés pour stabiliser les populations.

Carte changements camp de réfugiés Cameroun

Carte de suivi des changements d’occupation du sol autour du camp de réfugiés Minawao au Cameroun.

Selon vous, quelle plus-value apporte la labellisation SCO du projet ?

S.PL. : Le label SCO offre un cadre propice pour valider le prototype opérationnel de cette méthodologie. Cela nous a permis de préparer tout le travail d’analyse en amont, et notamment d’identifier toutes les données d’entrée pour garantir la qualité des indicateurs délivrés. La seconde force du SCO pour ce projet est la valorisation de sa transposabilité.

C. S. : J’ajouterai que le fait que le CNES soit associé au label SCO a facilité, sinon permis, la prise de contacts avec l’Union Africaine et le CSE, des rencontres indispensables pour gagner la maturité nécessaire à un tel projet.

Quelles sont les prochaines étapes ?

C.S. : Nous travaillons à présent à identifier les données que nous pourrions combiner « intelligemment ». Nous poursuivons également l’analyse des séries temporelles pour créer, grâce à la chaine de traitement Iota 2, les données manquant sur certaines périodes. Enfin, nous affinons le calcul des indicateurs sur les sites d’étude. Tout cela en réfléchissant bien sûr à la suite, en profitant du SCO pour trouver de nouveaux partenaires et financements afin d’évoluer sur de plus larges échelles.