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Tête à tête avec l’AFD

Publié le 02/12/2022
Bailleur de fonds pour le climat, l’Agence Française de Développement s’implique dans le SCO à l’échelle nationale et internationale. Comme le souligne son Directeur Général Adjoint, Bertrand Walckenaer, « les données satellitaires ouvrent de nombreuses perspectives de développement pour les pays dans lesquels nous investissons et le SCO est un outil collectif pour les mettre en œuvre ».

En quelques mots, qui est l’Agence Française de Développement et quelle est sa relation au changement climatique ?

Bertrand Walckenaer : L’AFD est une banque publique de développement détenue par l’État français. Nous investissons 12 milliards d’Euros par an dans les pays en développement, dont la moitié en Afrique, et nous sommes également présents,dans les territoires d’Outre-Mer français. De plus, 50% de notre activité nous conduit à investir dans la lutte contre le changement climatique. De fait, Afrique et Climat sont aujourd’hui les deux principaux marqueurs de notre stratégie et du mandat qui nous a été donné par le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat.

AFD B Walckenaer

Bertrand Walckenaer, Directeur Général Adjoint de l’AFD. © AFD

L’AFD est membre du SCO France depuis sa création en novembre 2019. Lors de la signature de l’accord cadre de partenariat avec le CNES en février 2022, Rémy Rioux, Directeur Général de l’AFD, annonçait l’objectif de « disposer à terme d’un outil de suivi et d’évaluation de projets dans les pays en développement ». En quoi le SCO, et tout particulièrement les données satellites, vont-ils vous aider à atteindre cet objectif ?

B.W. : Les enjeux d’un tel outil concernent autant l’AFD que les pays dans lesquels nous investissons, car les projets que nous finançons répondent à une demande de ces pays. Afin que les investissements soient appropriés et génèrent de vrais impacts sur place, nous avons besoin que cette demande soit qualifiée et quantifiée, avec des termes de référence. L’imagerie satellitaire est pour cela un précieux outil, exhaustif, précis et crédible en termes de mesure. Nous l’utilisons déjà pour évaluer certains projets, je pense notamment à un programme de reboisement pour lequel nous avons mandaté l’IRD afin de réaliser des évaluations scientifiques de la progression de 20 ans d’investissements de l’AFD dans le développement du couvert forestier de pays africains, dont le Sahel et le bassin du Congo.

« L’imagerie satellitaire est un précieux outil, exhaustif, précis et crédible. »

Ajouté à cela, l’historique de données et photos satellite de la planète Terre nous permet d’analyser l’évolution de nombreux paramètres sur 40 à 60 ans. Cette capacité d’analyse sur un temps long est précieuse pour nos opérations car, en matière de développement, nous sommes toujours à la conjonction entre temporalité de l’urgence - lutte contre la pauvreté, crise alimentaire… - et l’enjeu d’accompagner les pays dans la construction de trajectoires de long terme.

Enfin, un autre grand intérêt de travailler avec le SCO est la diversité des projets qu’il soutient. Ceux-ci constituent une source d’innovation potentiellement très riche dans le monde du développement, et encore plus demain car, tous les cinq ans environ, de nouvelles générations de satellites réalisent des progrès significatifs.

Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance… L’AFD est engagée dans plus de 4 000 projets dans 120 pays. Quelles thématiques souhaiteriez-vous particulièrement épauler à travers le SCO et, plus généralement, l’usage des données satellitaires ?

B.W. : Quatre grand sujets mobilisent l’AFD, dont les forêts, que les satellites observent de mieux en mieux, et bien plus facilement que par l’envoi d’équipes sur ces terrains parfois difficiles d’accès. Suit la gestion de la ressource en eau : là aussi rapide et efficace, l’imagerie satellitaire permet d’avoir une évaluation précise de l’évolution des ressources en eau de surface disponibles dans un pays, mais aussi à faible profondeur, dans le sol. Ces informations sont particulièrement stratégiques pour ceux qui, comme la Palestine et la Jordanie, font face à des contraintes d’accès aux ressources hydriques.

L’outil satellitaire est également très pertinent pour conduire et opérer des choix en matière d’aménagement, qu’il s’agisse d’électrification, d’adduction en eau, d’organiser un réseau d’infrastructures routières ou ferroviaires, ou encore d’analyser la densité de population dans certaines zones urbaines.

Nous sommes enfin particulièrement mobilisés pour la biodiversité. Or, nous voyons qu’en combinant imagerie satellitaire, algorithmie de pointe et intelligence artificielle, il devient par exemple possible d’évaluer les ressources en bois en fonction du couvert forestier mais aussi d’estimer la quantité et la diversité des espèces animales et végétales. Dans le même esprit, l’AFD finance un programme d’innovation en partenariat avec l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et Facebook, dont une partie est dédiée au développement d’algorithmes permettant d’analyser et de qualifier la biodiversité en zone côtière. C’est donc tout cela, et pas seulement, que les satellites permettent de faire !

Corédigée par ses membres fondateurs, agences spatiales et organismes internationaux, la Charte du SCO ouvre son adhésion à toute entité publique ou privée engagée à agir pour le climat. L’AFD a signé cette Charte dès sa présentation, le 27 juin 2022. Quelles motivations sous-tendent cet engagement à l’échelle internationale ?

B.W. : L’AFD est un bailleur bilatéral, ce qui signifie que nous n’avons qu’un actionnaire : l’État français. Aux côtés d’autres acteurs bilatéraux et multilatéraux qui investissent dans les mêmes pays que nous, l’un des principaux enjeux consiste à nous organiser pour structurer au mieux nos modes d’intervention, d’investissement et de coopération. Il s’agit autant de simplifier la relation de travail entre pays récipiendaires et investisseurs que de démontrer l’efficacité de l’argent public investi. Dans cette intention, nous impliquer dans l’initiative internationale est un moyen de diffuser les innovations au plan international et, inversement, de bénéficier d’autres innovations. Ce faisant, nous participons via le SCO à standardiser les méthodes et outils d’analyses par satellite afin d’éviter les redondances de projets et d’investissements pour, au contraire, mutualiser les bases de données, les algorithmes et les méthodes.

L’autre grand enjeu d’une implication internationale concerne directement les pays récipiendaires de nos investissements, afin qu’ils puissent utiliser le spatial pour leurs propres besoins et avec leurs propres équipes. Commencer par leur permettre de s’approprier l’imagerie satellitaire disponible et accessible à coût raisonnable constitue une bonne façon d’aborder leur trajectoire de développement. En effet, quand on discute avec un pays, on parle de projets mais aussi de trajectoire : quelle est, par exemple, la trajectoire dans 10 ou 15 ans de l’éducation au Niger ? de l’agriculture au Sénégal ? Là encore, l’imagerie satellitaire permet d’anticiper l’évolution à moyen terme de différents domaines, notamment vis-à-vis du changement climatique, et ainsi d’identifier des actions pour y parvenir.

Sans oublier que les outils satellitaires se placent directement au service des engagements pris, notamment dans le cadre de l’Accord de Paris pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, et qui nécessitent un pilotage à l’échelle d’un pays, voire régionale à certains égards.

Souhaitez-vous renforcer plus avant la coopération SCO/AFD et si oui, comment ?

B.W. : Nous avons signé la Charte du SCO et nous souhaitons nous impliquer dans les ateliers de travail internationaux à venir. Donc oui, nous allons renforcer notre coopération avec le SCO, et ce pour plusieurs raisons. D’abord eu égard à la valeur ajoutée de mobiliser l’imagerie spatiale en faveur du développement dans un contexte de changement climatique. L’AFD utilise déjà cette technologie et nos compétences vont se renforcer en la matière, pour toutes les raisons évoquées précédemment mais aussi car nous sentons que cet outil peut être utile au-delà des analyses de données. Citons à titre d’exemple l’Indonésie et certains pays du Golfe de Guinée, qui utilisent la télédétection pour suivre en temps réel des flottilles de pêche, ce qui permet de gérer les autorisations, les quantités et zones de pêche autorisées, mais aussi d’évaluer les dynamiques des courants marins et ainsi prédire la trajectoire des déchets plastiques, une autre problématique qui monte en puissance.

De plus, le SCO ayant pour philosophie de répliquer les solutions développées, nous cherchons dans son vivier de projets des innovations que nous pourrions intégrer dans nos opérations. Nous travaillons avec le SCO sur ces questions, et nous allons participer au comité de labélisation du SCO France via notre cellule « innovation, data impact, climat et nature » pour identifier des projets qui répondent à ces priorités. Parallèlement, nous développons, dans le cadre du Campus AFD, un programme de formation en ligne (MOOC) dédié à l’observation de la Terre pour les pratiques de développement, dont un module spécifique pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

Tout comme le SCO, l’AFD aligne ses actions sur les 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Quel est, selon vous, l’intérêt des données satellitaires pour la mise en œuvre et l’évaluation des ODD ?

B.W. : Dans la diversité des projets que nous menons, il est parfois complexe de faire ressortir leurs impacts à l’aune de ces 17 critères tels qu’ils sont décrits. À cet égard, le grand intérêt de l’imagerie spatiale réside dans sa capacité d’échelle qui permet aussi bien de travailler à l’échelle globale que de focaliser sur certains ODD ou zones d’intérêt. Si l’on reprend l’exemple d’un couvert forestier suivi par satellite, nous pourrons déduire des données l’activité économique liée à la forêt, sa biodiversité, et en les croisant avec les données de suivi de l’agriculture du pays, estimer sa capacité de résilience en cas de crise alimentaire. Les données spatiales délivrent de nombreuses autres informations - sur la géographie des villes, des transports etc. - qui, combinées à l’algorithmie et à l’IA, alimentent notre capacité à analyser et prévoir des éléments transversaux qui vont au-delà de l’arbre qui a été planté dans tel parc de tel pays.

« L’imagerie spatiale va nous amener à définir et qualifier des indicateurs de mesure qui n’existent pas aujourd’hui. »

Ajouté à cela, je pense que l’imagerie spatiale va nous amener à définir et qualifier des indicateurs de mesure qui n’existent pas aujourd’hui. Restaurer un hectare de forêt au Sahel, c’est bien, mais comment mesurer le succès d’une telle action, comment quantifier ses impacts sur une zone donnée ? L’imagerie spatiale peut apporter des réponses et le SCO nous accompagner pour standardiser ses indicateurs.

Quel futur voyez-vous pour le SCO ?

B.W. : En plein essor, l’imagerie satellite se déploie pour offrir de beaux outils prédictifs à l’échelle mondiale. Je pense notamment aux prévisions de rendement des récoltes à l’échelle de la planète, dans le cadre de travaux menées par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). D’ailleurs nous constatons un intérêt manifeste, tant des bailleurs que des pays récipiendaires, pour cette technologie dont la maîtrise répond au demeurant à un enjeu de souveraineté. Ces sujets satellitaires concernent aussi bien les secteurs publics que privés, avec certes un enjeu de temporalité entre le moment où cet intérêt se traduit et le niveau d’investissement suffisant pour qu’un pays ait localement les capacités à utiliser de l’imagerie satellite. Dans ce contexte, la mission du SCO prend toute son ampleur pour constituer une base de données de projets, d’innovations et de méthodologies immédiatement aptes à être mises en œuvre par les pays récipiendaires. Le SCO est un outil collectif, il crée une dynamique avec un pouvoir d’attraction certain. Dernier exemple en date, le Rwanda, désireux de développer ses compétences en imagerie satellite, a manifesté son intérêt pour rejoindre le SCO et signer la Charte.

Profondément convaincu de l’intérêt du spatial pour le suivi, le pilotage et la mise en œuvre des enjeux de développement, je pense donc que le SCO a un grand avenir pour répondre à de nombreux besoins.

 

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L'Agence Française de Développement (AFD) est un établissement public qui contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance… Ses équipes sont engagées dans plus de 4 000 projets à fort impact social et environnemental sur toute la planète, contribuant ainsi à l’engagement de la France en faveur des Objectifs de développement durable (ODD).

Le groupe AFD se compose de l’Agence française de développement (AFD), en charge du financement du secteur public et des ONG, de la recherche et de la formation sur le développement durable, de Proparco, filiale dédiée au financement du secteur privé et, depuis janvier 2022, de l’agence interministérielle de coopération technique Expertise France.