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Arbocarto-V2 : Aedes prend garde à toi !

Publié le 05/12/2022
La France a connu en septembre 2022 sa première épidémie de dengue. La faute à l'un des plus dangereux prédateurs de l’homme : le moustique Aedes. Grâce au label SCO, Annelise Tran et Marie Demarchi, co-responsables du projet Arbocarto-V2, ont transformé les travaux de recherche en un outil opérationnel pour anticiper les épidémies provoquées par la dangereuse petite bête. Rencontre.

Ceux qui vivent ou ont vécu sous les tropiques connaissent la chanson : la mélodie de la "baygoneuse" qui pulvérise les insecticides dans les rues, sur des paroles de prévention avec l’incontournable refrain « videz vos réservoirs d’eau stagnante », lieu de ponte privilégié des moustiques. Aujourd’hui, les populations des climats tempérés découvrent cet air car, sous l’action du réchauffement global et la mondialisation, les moustiques conquièrent de nouveaux terrains de chasse. Ici ou ailleurs, comment lutter ? Avec Arbocarto, un puissant outil de santé publique appelé à se généraliser et à se développer plus avant.

Commençons par quelques présentations. Qui êtes-vous et quels sont vos rôles respectifs dans le projet Arbocarto ?

🙎🏻‍♀️Annelise Tran : Je suis chercheuse au Cirad, et plus précisément à l’UMR Tetis (Unité Mixte de Recherche Territoires Environnement Télédétection et Information Spatiale). Après ma thèse sur la dengue en Guyane en 2004 et plusieurs projets de recherche sur la modélisation des dynamiques de moustiques vecteurs, j’ai lancé le projet Arbocarto, dont je suis responsable de la modélisation. J’ai fait appel à Marie, que j’ai rencontrée il y a une dizaine d’années à la Maison de la Télédétection de Montpellier, pour concevoir une interface utilisateur simple et pratique.

🙍🏼‍♀️Marie Demarchi : Je suis ingénieur indépendant en géomatique, science qui allie la géographie, l’informatique et les mathématiques. Dans Arbocarto, je conçois l'interface, qui est ensuite développée par Mathieu Castets du Cirad, et je vérifie le fonctionnement de l'application avant le déploiement. Je conçois également les documents associés d'accompagnement pour nos utilisateurs.

A Tran et M Demarchi

Incarnant l’efficace duo sciences & géomatique, Annelise Tran (à gauche) et Marie Demarchi (à droite) à la Maison de la Télédétection de Montpellier où elles se sont rencontrées. © Arbocarto

Il manque un protagoniste à nos présentations : qui est ce redoutable Aedes, dont le nom même ressemble à celui du dieu des enfers ?

🙎🏻‍♀️A.T. : Aedes désigne une famille de moustiques et il peut effectivement nous faire vivre un enfer ! Parmi ses espèces, nous étudions Aedes albopictus - le fameux moustique tigre – et Aedes aegypti, tous deux vecteurs d’agents pathogènes responsables de maladies comme le chikungunya, la dengue et le zika. Ce sont des moustiques urbains, diurnes et particulièrement nuisants en début et fin de journée.

À quoi sert votre outil Arbocarto-V2 ?

🙎🏻‍♀️A.T. : Développé à la demande du ministère français de la Santé et de la Prévention, Arbocarto-V2 est une application de cartographie prédictive des densités de populations d’Aedes (Ae. albopictus et Ae. aegypti) à partir de données entomologiques locales, météorologiques et de télédétection. Les cartes générées par l’outil permettent de cibler les lieux où un risque d’abondance de moustiques est très élevé, afin d’orienter les actions de lutte antivectorielle.

 

« Le moustique est très inféodé à l’homme et les formes d’habitat urbains sont déterminantes pour sa prolifération. »

 

Bien évidemment, les satellites ne voient pas les moustiques ! Quel est le rôle de la télédétection dans Arbocarto-V2 ?

🙎🏻‍♀️A.T. : Pour se reproduire et pondre leurs œufs, les moustiques ont besoin de gites larvaires dont la présence dépend de la végétation et de l’occupation du sol. Or le moustique est très inféodé à l’homme, et de nombreuses études de terrain montrent que parmi les différents types d’habitats humains, les formes urbaines sont déterminantes : il y aura plus de gites larvaires dans un quartier résidentiel avec de la végétation que dans un quartier d’immeubles, très bétonné et dépourvu de végétation. C’est ce lien entre forme urbaine et gites larvaires potentiellement disponibles qui alimente Arbocarto et pour lequel les données satellite sont utiles.

🙍🏼‍♀️M.D. : En effet, les données de télédétection à haute et très haute résolution spatiale nous servent à caractériser l‘environnement des sites étudiés, à savoir déterminer l’occupation des sols, les trames vertes et les types d’urbanisation. Ces données améliorent notre connaissance du territoire en l’absence de données de terrain.

Opérationnel pour tous les sites géographiques, quelles sont plus précisément ses principales fonctionnalités ?

🙎🏻‍♀️A.T. : Primo, Arbocarto-V2 peut simuler les abondances de moustiques sur un territoire donné, Aedes albopictus ou aegypti selon le choix de l’utilisateur. Secundo, Arbocarto-V2 permet de préparer en amont le fichier environnemental prenant en compte données d’occupation du sol, de végétation, et d’autres sources comme la localisation des cimetières et autres zones pouvant accueillir des gites larvaires. Tertio, Arbocarto-V2 permet de simuler des actions de prévention ou de contrôle selon différents scénarios. Par exemple, quelle sera l’abondance estimée si l’on réduit les gites de 50% dans telle zone, ou que l’on pulvérise des insecticides à tel endroit pendant tant de temps.

Arbocarto_Guadeloupe

Exemple d’une cartographie prédictive de l’abondance de moustiques adultes sur la Guadeloupe. © Arbocarto

Arbocarto est un outil public, propriété du ministère français de la Santé et de la Prévention. Qui sont les utilisateurs et comment y accéder ?

🙍🏼‍♀️M.D. : Les utilisateurs sont les Agences Régionales de Santé (ARS) et les opérateurs de démoustication, privés ou publics. En effet, selon les zones, comme en Martinique par exemple, c’est la collectivité territoriale qui est en charge de la démoustication. Nous avons également eu des demandes de chercheurs ou d’étudiants, validées par le Ministère.

🙎🏻‍♀️A.T. : Arbocarto est un logiciel au format .exe. Un lien d’inscription direct sera très bientôt disponible sur arbocarto.fr, site que nous avons créé durant la V2. Dans l’immédiat, pour demander Arbocarto, il faut remplir un formulaire très simple et s’engager à faire un retour utilisateur une fois par an auprès du ministère. Dès l’accord du ministère, nous envoyons un lien de téléchargement du kit complet. Ce formulaire est disponible ici, ainsi que via arbocarto.fr.

💡Bon à savoir : Une convention avec le ministère de la Santé et de la Prévention et Météo-France permet aux utilisateurs (ARS et opérateurs de démoustication) de récupérer les données locales à la fréquence qu’ils souhaitent.

Que vous a apporté le label SCO ?

🙎🏻‍♀️A.T. : D’abord le financement du CNES qui nous a permis de transformer notre démonstrateur Arbocarto-V1 en un outil opérationnel Arbocarto-V2. La labellisation SCO nous a également apporté une reconnaissance et une visibilité auprès de nouveaux utilisateurs grâce à son réseau mais aussi via des actions de communication comme la réalisation d’une vidéo de présentation que nous utilisons régulièrement.

Vous travaillez actuellement sur une V3. De quoi s’agit-il ?

🙎🏻‍♀️A.T. : Jusqu’à la V2, l’outil fournit une prédiction sur l’abondance de moustiques, un indicateur important pour le risque de transmission d’agents pathogènes par ces moustiques, mais ce n’est pas le seul. La V3 fournit des prédictions sur le taux de reproduction de base de la dengue, le R0, à savoir le nombre de cas secondaires générés par l’introduction d’un premier cas dans une population. Nous avons tous été sensibilisés à cet indicateur avec la Covid : si le R0 est supérieur à 1, c’est l’effet boule de neige et l’épidémie. Nos premières vérifications sur la Réunion révèlent une bonne corrélation spatiale des foyers de dengue. Cette évolution de l’outil est particulièrement intéressante pour la France métropolitaine où la population peut être considérée comme totalement sensible aux virus transmis par les Aedes.

Votre outil offre un large éventail de possibilités d’évolution. Comment les données satellites vous permettraient-elles d’aller plus loin, notamment d’un point de vue du changement climatique ?

🙍🏼‍♀️M.D. : Parmi les options d’évolution à moyen terme, nous envisageons deux grandes possibilités à partir de données satellite. La première, pour aiguiser nos résultats, consisterait à utiliser des données relatives aux ilots de chaleur urbains et/ou à une description plus fine de la végétation. Nous avons d’ailleurs identifié des projets SCO qui génèrent ces types de données. La seconde serait d’utiliser des données météorologiques satellitaires, et pas seulement celles issues des stations terrestres comme aujourd’hui. En permettant d’imaginer l’avenir au regard du changement climatique, cette évolution accorderait à l’outil un usage et un éventail d’utilisateurs plus larges. Cela demandera un certain développement pour pouvoir intégrer des données au format raster (grilles).

🙎🏻‍♀️A.T. : Une évolution à court terme concerne le paludisme, transmis par des espèces de moustiques anophèles, dont la plupart des gites de pontes sont de grandes surfaces en eau comme des rizières ou des marécages, qu’il est beaucoup plus facile de cartographier à partir de l’espace. Un chercheur fait actuellement sa thèse en utilisant la télédétection pour cartographier les gites larvaires du paludisme à Madagascar, données qu’il a injectées dans le modèle dynamique de population d’Arbocarto. Les prédictions qu’il obtient des densités d’anophèles sur différentes zones de Madagascar sont plutôt probantes. Ces travaux de recherche pourraient être intégrés dans Arbocarto ou un outil dérivé.

 

« Un outil simple à prendre en main »

 

Bien que l’interface ait été pensée pour permettre aux non-initiés de l’utiliser, un tel outil doit demander une certaine maîtrise, non ?

🙍🏼‍♀️M.D. : Nous y avons beaucoup réfléchi et nous avons élaboré un kit de formation qui, fourni avec des jeux de données, le support et l’outil, permet aux nouveaux utilisateurs de s’autoformer. Cependant, l’outil est simple à prendre en main car il ne nécessite pas de grandes notions en géomatique : c’est l’exploitation de ce qui ressort de l’outil qui nécessite quelques bases, raison pour laquelle nous proposons à ceux qui le souhaitent des formations en présentiel, à distance ou hybrides.

🙎🏻‍♀️A.T. : En effet, la difficulté relève surtout de la maîtrise des outils SIG (Système d’Information Géographique). Si les participants sont déjà formés au SIG, la formation se réduit à une demi-journée. Sinon nous prenons le temps d’expliquer comment exploiter les sorties Arbocarto-V2 en utilisant les SIG. Au final, nous constatons une bonne appropriation puisque plusieurs personnes ont pris l’initiative de former leurs collègues. En tant que chercheuse, je suis profondément ravie de voir les résultats des travaux de recherche menés durant des années devenir un outil opérationnel. Déjà doté de paramétrages qui permettent à ceux qui le souhaitent d’aller plus loin que les fonctions de base, je suis persuadée qu’Arbocarto va continuer à vivre et à évoluer grâce à la communauté d’utilisateurs.

 

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  • Le Cirad est un établissement public français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes. Avec ses partenaires, il mobilise la science, l’innovation et la formation pour coconstruire des connaissances et des solutions pour un monde plus durable et solidaire dans de nombreux domaines : protection de la biodiversité, transitions agroécologiques, durabilité des systèmes alimentaires, santé et résilience face au changement climatique.​​​
  • Marie Demarchi est ingénieur géomatique indépendante, directrice de l’entreprise éponyme. Elle travaille principalement en partenariat avec les organismes de recherche et de formation pour les accompagner dans les différentes phases de leur projet. Ses 25 années de compétence géomatique sont mises en œuvre dans les domaines de l’aménagement du territoire, l’environnement, l’agriculture, l’urbanisme et la santé.